CONDORCET (Jean Antoine Nicolas de Caritat de). Lettre autographe à Anne Robert Jacques Turgot. S.l., 10 janvier [1774]. 3 pp. in-12, adresse au dos avec cachet armorié de cire rouge. Lettre foisonnante dans laquelle Condorcet exprime ses engagements en faveur de la tolérance religieuse et offre un panorama de la vie culturelle à Paris.Un des grands hommes des Lumières, Condorcet s'était résolument engagé en cette année 1774 en faveur des idées philosophiques. Mathématicien athée, son amitié avec d'Alembert, rencontré en 1758, avait été déterminante : il s'était alors lié à Voltaire, avait commencé à fréquenter le salon de mademoiselle Lespinasse, et, ayant acquis la conviction que l'esprit humain était perfectible, il avait conditionné son action en fonction de son utilité pour aider à ce progrès. Il attaqua certains aspects de la morale chrétienne, s'engagea en faveur des opprimés, protestants ou noirs... Fort de son expérience mathématique, il aborda aussi des sujets comme l'économie, soutenant l'action menée par Turgot dans son intendance du Limousin (1761-1774). Ils devinrent amis, liés par leur foi commune dans les idées progressistes des Lumières, et Turgot, nommé contrôleur général des finances en juillet 1774, le gratifierait de la place d'inspecteur des Monnaies. « J'ai là le mémoire des Auxerrois, et j'ai bien peur que leur évêque ne se lave pas aisément du reproche d'être complice d'une des plus lâches atrocités qu'on ait encore vues. Jusqu'ici les noms de conspirations, de magie, &c., avaient servi de voile à ces actes de tyrannie, mais ici c'est une bassesse avouée. Il y a eu plus de perversité et de cruauté dans l'affaire d'Urbain Grandier [célèbre affaire des « possédées de Loudun », où un prêtre, Urbain Grandier, fut contre toute justice brûlé en 1634], il y a ici plus d'avilissement. L'évêque d'Auxerre n'a d'autre traité à faire avec les honêtes gens que celui que les Hollandais proposèrent à Louis 14 aux conférences de Gertrudenberg [conférences diplomatiques tenues en 1710 à Geertruidenberg pour mettre fin à la guerre de Succession d'Espagne]. Il faut qu'il chasse lui-même les juges qu'il a protégés et rendus insolens. Il paraît une gazette de littérature pour laquelle il faudra souscrire à votre retour. Melle de Lespinasse a un torticolis, qui a succédé à la toux et parce qu'il est apparemment nécessaire qu'elle souffre. M. Monteynard est toujours en place [secrétaire d'État de la Guerre de 1771 au 27 janvier 1774]. J'ai vu sa lettre circulaire ; est-ce que, depuis l'éloge des administrateurs de cet été, ils se croient obligés d'en imiter le stile. On a joué hier Eugénie à la Comédie française, elle a été reçue comme Tancrède, on a crié qu'on voulait Le Barbier de Séville, pièce du même auteur, interrompue, comme vous savez, par le coup de poing que M. le duc de Chaulnes lui donna l'année passée. Les rieurs sont pour lui. [Il s'agit des pièces Tancrède, de Voltaire, Eugénie et Le Barbier de Séville de Beaumarchais]. J'ai entendu de la musique de Glouk hier, un air sublime pour le pathétique, mais cet air est ancien et ceux de son nouvel opéra que j'ai entendu après m'ont paru pauvres et mesquins en comparaison [probablement un air d'Orphée, gravé depuis dix ans, et l'opéra Iphigénie en Aulide, qui serait créé en avril 1774]. Adieu, Monsieur, revenez, mais on dit que vous avez ici de bonnes actions à faire, que des malheureux vous y attendrons. Vous reviendrez donc, car vous avez le défaut d'aimer mieux vos devoirs que vos amis et vous ferez plus le plaisir de cette action que vous n'auriez fait pour nous... » « On a crié qu'on voulait Le Barbier de Séville » : cette pièce, connue depuis deux ans, ne serait créée qu'en 1775 en raison des hésitations de la censure à la suite d'un scandale où Beaumarchais se trouva opposé au duc de Chaulnes. Rival de Beaumarchais auprès de la même maîtresse, le duc l'avait frappé en février 1773, à la suite de quoi les deux hommes avaient été un temps incarcérés, mai
CONDORCET (Jean Antoine Nicolas de Caritat de). Lettre autographe à Anne Robert Jacques Turgot. S.l., 10 janvier [1774]. 3 pp. in-12, adresse au dos avec cachet armorié de cire rouge. Lettre foisonnante dans laquelle Condorcet exprime ses engagements en faveur de la tolérance religieuse et offre un panorama de la vie culturelle à Paris.Un des grands hommes des Lumières, Condorcet s'était résolument engagé en cette année 1774 en faveur des idées philosophiques. Mathématicien athée, son amitié avec d'Alembert, rencontré en 1758, avait été déterminante : il s'était alors lié à Voltaire, avait commencé à fréquenter le salon de mademoiselle Lespinasse, et, ayant acquis la conviction que l'esprit humain était perfectible, il avait conditionné son action en fonction de son utilité pour aider à ce progrès. Il attaqua certains aspects de la morale chrétienne, s'engagea en faveur des opprimés, protestants ou noirs... Fort de son expérience mathématique, il aborda aussi des sujets comme l'économie, soutenant l'action menée par Turgot dans son intendance du Limousin (1761-1774). Ils devinrent amis, liés par leur foi commune dans les idées progressistes des Lumières, et Turgot, nommé contrôleur général des finances en juillet 1774, le gratifierait de la place d'inspecteur des Monnaies. « J'ai là le mémoire des Auxerrois, et j'ai bien peur que leur évêque ne se lave pas aisément du reproche d'être complice d'une des plus lâches atrocités qu'on ait encore vues. Jusqu'ici les noms de conspirations, de magie, &c., avaient servi de voile à ces actes de tyrannie, mais ici c'est une bassesse avouée. Il y a eu plus de perversité et de cruauté dans l'affaire d'Urbain Grandier [célèbre affaire des « possédées de Loudun », où un prêtre, Urbain Grandier, fut contre toute justice brûlé en 1634], il y a ici plus d'avilissement. L'évêque d'Auxerre n'a d'autre traité à faire avec les honêtes gens que celui que les Hollandais proposèrent à Louis 14 aux conférences de Gertrudenberg [conférences diplomatiques tenues en 1710 à Geertruidenberg pour mettre fin à la guerre de Succession d'Espagne]. Il faut qu'il chasse lui-même les juges qu'il a protégés et rendus insolens. Il paraît une gazette de littérature pour laquelle il faudra souscrire à votre retour. Melle de Lespinasse a un torticolis, qui a succédé à la toux et parce qu'il est apparemment nécessaire qu'elle souffre. M. Monteynard est toujours en place [secrétaire d'État de la Guerre de 1771 au 27 janvier 1774]. J'ai vu sa lettre circulaire ; est-ce que, depuis l'éloge des administrateurs de cet été, ils se croient obligés d'en imiter le stile. On a joué hier Eugénie à la Comédie française, elle a été reçue comme Tancrède, on a crié qu'on voulait Le Barbier de Séville, pièce du même auteur, interrompue, comme vous savez, par le coup de poing que M. le duc de Chaulnes lui donna l'année passée. Les rieurs sont pour lui. [Il s'agit des pièces Tancrède, de Voltaire, Eugénie et Le Barbier de Séville de Beaumarchais]. J'ai entendu de la musique de Glouk hier, un air sublime pour le pathétique, mais cet air est ancien et ceux de son nouvel opéra que j'ai entendu après m'ont paru pauvres et mesquins en comparaison [probablement un air d'Orphée, gravé depuis dix ans, et l'opéra Iphigénie en Aulide, qui serait créé en avril 1774]. Adieu, Monsieur, revenez, mais on dit que vous avez ici de bonnes actions à faire, que des malheureux vous y attendrons. Vous reviendrez donc, car vous avez le défaut d'aimer mieux vos devoirs que vos amis et vous ferez plus le plaisir de cette action que vous n'auriez fait pour nous... » « On a crié qu'on voulait Le Barbier de Séville » : cette pièce, connue depuis deux ans, ne serait créée qu'en 1775 en raison des hésitations de la censure à la suite d'un scandale où Beaumarchais se trouva opposé au duc de Chaulnes. Rival de Beaumarchais auprès de la même maîtresse, le duc l'avait frappé en février 1773, à la suite de quoi les deux hommes avaient été un temps incarcérés, mai
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