Lot DetailsAuthenticity guaranteedAuthenticity guaranteedXXe siècle (lots 51 à 142)
[Internationale lettriste] ─ Guy DebordCorrespondance à Gaëtan M. Langlais.1953-1954.
21 lettres et billets (38 pages sur 24 feuillets, de divers formats, in-12 à grand in-4). La plupart signés "Guy", "GE" [Guy-Ernest], certaines signées d’un nom de code comme "Ludwig Von Bayern", Commandant en chef" ou "Guatémala".
Facétieuses lettres, certaines codées, avec des collages "métagraphiques", parodiant le langage militaire ou jouant avec une disposition typographique novatrice.
À l’un des membres éphémères du mouvement de l’Internationale lettriste en 1953-1954.
Documents inédits.
C’est en avril 1953 que Gaëtan Langlais (1935-1982) devient membre de l’Internationale lettriste (I.L.), fondée en Belgique en juin 1952 par Serge Berna, Jean-Louis Brau, Guy Debord et Gil J. Wolman. Au sein du groupe, il est désigné par le surnom de "Double Wagon", qui lui vient de sa fonction dans une entreprise d’import-export. Il participe aux activités du groupe, déambule de bar en bar dans Paris avec Ivan Chtcheglov et Guy Debord — ce sont les "dérives" que ce dernier théorisera dans "La théorie de la dérive", 1956 —, en particulier dans le quartier de la Contrescarpe et Chez Moineau, quartier général du groupe. Signataire du tract Touchez pas aux lettristes (avril 1953) diffusé après l'arrestation de Pierre-Joël Berlé pour vol de plomb dans les catacombes, auteur de Jolie Cousette (texte par détournement, 1952-1953), Langlais cosigne deux textes dans l’Internationale lettriste d’août 1953 ("Acte additionnel à la constitution d’une Internationale lettriste" et "Il faut recommencer la guerre en Espagne") et collabore au scénario, inabouti, de La Belle Jeunesse de Guy Debord (1953). Partout où il passe à Paris, il écrit "Les Chinoises pour Gaëtan" sous forme de graffiti sur les murs — revendication qu’il fait figurer dans l’I.S. d’août 1953. Par son métier dans l'import, il a probablement pu subventionné l'I.L. Il s'éloigne du mouvement dès février ou mars 1954, mais il sera considéré comme exclu pour "Sottise" dans Potlatch en juin 1954 ; un projet de tract Comité directeur de l’I.L. précise qu’il a été éliminé pour déviations doctrinales ou médiocrité personnelle : que Langlais soit l’un des seuls salariés du groupe allait peut-être à l’encontre des directives de Debord, dont en 1953 le slogan était "Ne travaillez jamais". Plus tard, Gaëtan Langlais publiera quelques poèmes et dessins dans Front noir (1963-1967), revue opposée aux théories situationnistes de Louis Janover ; son frère cadet, Roger Langlais (1941-2018), essayiste et peintre, est le cofondateur de la revue L’Assommoir (1978-1895). Il restera proche de Ivan Chtcheglov, avec lequel il gardera des contacts réguliers jusqu'en 1971 au moins (voir lot 91).
Cette correspondance permet d'en apprendre davantage sur ce membre éphémère de l'I.L., qui fut un temps très proche de Guy Debord Tentant de dresser un portrait de Gaëtan Langlais, les biographes de Ivan Chtcheglov déplorent : "Gaëtan Langlais est un curieux personnage, sur lequel on possède peu de renseignements. Nous n’avons même pas réussi à nous en procurer une photographie" (J.-M. Apostolidès et B. Donné, p. 81).
Missives militaires. Certains de ces courriers adoptent les codes des missives militaires. Ainsi, le 18 octobre 1953, le général en chef Debord adresse au général Langlais un message "URGENT", "ULTRA-SECRET" et "CHIFFRÉ" au sujet d’une intervention militaire de la plus haute importance — c’est une brillante paraphrase militariste des remous du Groupe Algérien de l’Internationale lettriste autour de Mohamed Dahou. En grand stratège, il rend compte des mouvements des troupes lettristes, sous la forme d’un télégramme : "Il ressort des dernières nouvelles reçues d’Algérie que le front du général Dahou a été enfoncé dans la nuit par d’importantes forces ennemies. STOP. La IVe Armée d’Afrique du Nord retraite d’Orléans-ville vers Oran, ses arrières gardes livrant des combats de retardement sur un axe Mostaganem-Relizane-Tiaret. STOP. J’ai ordonné au général Dahou de défendre à tout prix Mascara, pour des raisons économiques évidentes, tout en couvrant Oran avec une partie de ses troupes. STOP. […] Le pays n’est pas sûr. J’ai fait brûler hier au soir tout un quartier de la ville et pendre une dizaine d’habitants pour l’exemple. STOP". Debord ordonne un avancement des troupes, prescrit au général Wolman de couvrir le flanc droit en descendant sur l’Île de la Cité, exige que le colonel Chtcheglov fasse diversion sur les arrières de l’ennemi en s’avançant à Fort-Moineau [le café bar Chez Moineau dans le sixième arrondissement de Paris], et proclame l’anéantissement de la Division Belge. Un autre message recommande : "Si accablés sous le nombre repliez-vous sur les hauteurs de Ste Geneviève [la Contrescarpe, lieu de rassemblement lettriste], tout en défendant le cours supérieur de la Seine […] Quelle aide vous apportent le colonel Chchegloff et ses cavaliers cosaques ? […] J’ai fait proclamer la grève générale par la C.S.A.L. (confédération des syndicats anarcho-lettristes). Ils avancent donc à marche forcée, comme dans l’Armée Rouge".
Collages et métagraphies influentielles. Plusieurs lettres comportent des "métagraphies" originales de Debord, ces collages qui se voulait une synthèse entre le roman et les arts plastiques — le terme avait été créé par Isou. Le 28 octobre [1953], il écrit : "Voici métagraphie influentielle-troublante pour donner à petite sœur, à l’occasion de la Sainte-Missoum." ─ Ce collage est intitulé "PORTRAIT DE GAËTAN M. LANGLAIS" (voir infra). Ces collages sont évoqués dans d’autres lettres : "Je suis introduit dans la place où je passe mes journées à manger, faire des métagraphies influentielles", écrit-il depuis Cannes. Une autre lettre [novembre 1953 ?], elle-même métagraphique puisqu’y sont contrecollés des morceaux de texte imprimé, évoque les compositions de Gaëtan Langlais : "Vraiment transcendantes métagraphies. Ornent mes murs. Je vois que tu n’as pas perdu ton temps. Admirons surtout ‘Perdus sur l’Amazone’. Etonnant ‘HONGRIE CORPS CÉLESTE’, Bien sûr." La graphie désordonnée de cette lettre laisse à penser qu’elle été écrite dans un certain état d’ébriété, ce que confirme la suite : "En train d’essayer un mélange dont vous me direz quelques nouvelles : Bordeaux et Bière à parts égales. Comme c’est le jour des morts nous sommes à notre aise." Au verso d’une page de l’Internationale situationniste auquel a participé Gaëtan Langlais (n° 3, août 1953), Debord a collé quelques nouvelles tirées de différents journaux, qu’il appelle ses "nouvelles détournées". Langlais reçoit aussi de Debord un "Compte-rendu de la métagraphie influentielle de Gilles Ivain [Ivan Chtcheglov] ‘Construisez vous-même une petite situation sans avenir’", ainsi commentée : "Dans un PAYSAGE DE CRIME un couple dérive. C’est la Nouvelle Calédonie, c’est-à-dire le sud-est d’Aubervilliers — LA ZONE, avant le bar de la République espagnole. La tragédie, vous savez, vous savez, c’est la pitié et la TERREUR… Le pavillon exponentiel — n’ayez pas peur. Dans l’aérosol, une cloche qui donna le signal de la Saint-Barthélemy — mais c’est la sagesse même."Les œuvres métagraphiques de cette période sont rares.
Des beuveries lettristes aux "dérives". D’autres missives, plus ou moins secrètes, plus ou moins codées, sont des invitations à des beuveries Chez Moineau et à des déambulations dans Paris : ce sont les "dérives" que Debord a théorisées, une forme d'exploration de l'espace urbain définie comme "technique du déplacement sans but", et qui se veut une pratique du dépaysement et de la découverte de soi par le "passage hâtif à travers des ambiances variées" (cité par E. Brun).Le 17 septembre 1953 [1 p. in-12, au recto d’une publicité sur papier rose, cachet de la poste], un message de "Guatéméla à Double-Wagon" organise une rencontre entre "Douce-Exclusion et l’Idiot" avec le "Consul au Praesidium", et ordonne de "détourner d’urgence Belles-Bacchantes et son escorte". Si Debord regrette les "Nouvelles confuses du groupe opérationnel de Carracas" [sic pour Caracas, où résidait Henry de Béarn], il adresse ses "Salutations internationales mais lettristes", en signant ce pseudo-pneumatique "TATOUÉ / TERREUR DES ABATTOIRS / GUATÉMALA". Une autre convocation à un "Praesidium demain soir 9 heures ½ Contrescarpe" précise : "Prière apporter le plus possible de papier (blanc de préférence) pour taper la revue. Mécènes bien reçus". L’une de ces beuveries est longuement commentée le 2 janvier 1954 : "Complètement ivre-mort, dérivé une heure ou deux puis dormi jusqu’à 9 h. matin. […] Ivan [Chtcheglov] et toi avez été particulièrement atroces avec les propriétaires de mon hôtel : basses injures et menaces de mort. J’ai à peu près arrangé les choses. […] Nous sommes revenus du quartier chinois […] nous t’avons suivi de bar en bar toujours un moment de retard. – Bu 2 bouteilles avec Charlal [Charles Guglielmetti] et Do Huc Ho dans l’après-midi. Grande compréhension réciproque sur la politique future du Vietnam." Il explique comment un gang a tenté de racketter le tenancier du bar ("Il est évident qu’un massacre risque de se produire à chaque instant : nos amis ont l’air extrêmement inquiet"), mais leur présence a de justesse empêché un règlement de compte. Il convie Double-Wagon à d’autres rendez-vous, avec Ivan Chtcheglov et Charlal, avant d’ordonner : "DÉTRUIRE APRÈS LECTURE". Une autre convocation [novembre 1953 ?], intitulée "Message clair mais utile" est présentée comme un document administratif, par lequel "L’homme en sursis — Debord, né le 28 décembre 1931 à Paris […] reconnu bon pour le service armé par le conseil de Révision des Alpes maritimes dans sa séance du 7 novembre 1950, salue Gaëtan M. Langlais et le prie d'assister instamment aux diverses pression et stratagèmes qui pourraient le faire affecter dans un ministère belliqueux mais parisien, mais meilleurs appointements s’entend et au mois d’avril URGENCE DISCRÉTION EFFICACITÉ, rappelle en outre le Praesidium fixé à 9 heures 30, au bar du Praesidium, place du Praesidium", avec ce post-scriptum, à propos de son numéro de registre matricule : "Il est formellement interdit de communiquer ces renseignements à une puissance étrangère".
Debord motive ses troupes, incitant Langlais à écrire : "Fais-moi parvenir dès qu’elle sera terminée ton étude sur l’influence de l’habillement dans les situations. Avec les citations que tu m’as montrées dans les LETTRES DE GUERRE, on peut faire de Vaché un étonnant précurseur dans ce domaine. En italien, le même mot signifie costume – et coutume" [sans date, après août 1953]. Plus tard, alors qu’il est loin de Paris, chez ses parents, il demande des nouvelles du groupe, et conseille : "Plus sérieusement — Ne vous endormez pas. Faites le maximum pour sortir cette revue tout de suite, c’est-à-dire d’ici décembre. Je compte sur toi pour encourager Ivan".
La fin. Certaines lettres de Debord regrettent l’absence de Double-Wagon. Quand celui-ci, "chargé d’une délicate mission photographique", reste introuvable, Guatémala [Debord] interroge "Grande-Bretagne" : a-t-il été victime : "- des extrémistes Exterministes ; - des petits Surréalistes goldfayniens – des Exclus et des Abstraits réunis ; - ou simplement de sa tendance à s’interroger sur la valeur dernière des choses" ? Une autre lettre évoque les nombreuses "absences de Double Wagon" [décembre 1953 ?], et le convoque "jusqu’à nouvel ordre", dans un café : "Si ça ne va pas, écris-moi où je pourrais vous voir, Ivan et toi […] mais j’ai peine à croire que votre situation soit si critique". Une autre encore : "Ivan se trouve, parait-il, bien seul et se désole du peu d’entrain que tu manifestes pour cette petite avant-garde." Ou même : "Message secret mais cependant utile. Absence de Double-Wagon nous a désolé hier au soir. S’est-il ‘couché de bonne heure’ ?" On le sent, Gaëtan Langlais s’éloigne du groupe ; cette "sottise" lui sera reprochée, et les lettristes internationaux l’excluront.
[On joint :]DEBORD, Guy. Métagraphie référentielle. Collage intitulé "PORTRAIT DE GAËTAN M. LANGLAIS" (198 x 114 mm ; "GE Debord", daté "Octobre 1953" et titré au dos).Sur un plan gravé d’une prison panoptique, le lettriste a collé des morceaux de textes imprimés. "Gaëtan" au centre, "le plus jeune des métaux précieux", "Adopté par l’élite", "En Chine", etc.
DEBORD, Guy. Faire-part de réussite au baccalauréat, sous la forme d’un avis de décès factice, [1951] (62 x 86 mm, bords de deuil) : "Le divin Met et Guy-Ernest Debord ont la douleur de vous faire part de leur brillant succès aux épreuves du Baccalauréat 2e partie. Fleurs fraîches seulement."Annotation autographe de Guy Debord au verso : "première publication de G.E. Debord dans le groupe lettriste (tirage limité)".À dix-neuf ans, il est intéressant de voir que Debord présentait sa réussite au bac comme une défaite ! "Après avoir réussi les épreuves du Baccalauréat, il affiche alors un détachement ironique en envoyant à plusieurs amis un carton sur le modèle du faire-part de décès […] Qui plus est, à l'été 1951, presque aussitôt obtenu cet examen, Debord quitte la Côte d'Azur pour s'installer à Paris, où il s'insère dans le mouvement lettriste et navigue dans les marges de la micro-société littéraire et artistique. Selon Christophe Bourseiller, il s'inscrit alors en faculté de droit, mais uniquement pour rassurer sa famille." (E. Brun). En réalité, Henri Met, dit le Divin Met, et Guy Debord ne forment qu'une seule et même personne (voir "Une histoire de la performance sur la Côte d'Azur de 1951 à nos jours", en ligne : https://performance-art.fr/fr/document/faire-part-reussite-au-baccalaureat-henri-met-dit-divin-met-guy-debord-qui-forme-quune ).Référence : G. Debord, Œuvres, Quarto, repr. p. 41.
VAN DER ELSKEN, Ed (?). 2 portraits photographiques : Mohamed Dahou dans un café (111 x 77 mm) et (probablement ?) Auguste Hommel, dit Benny devant une palissade (81 x 55 mm ; au dos est contrecollée une strophe imprimée d’un poème d’Éluard), devant une palissade. Tirages argentiques d’époque.Ces photographies sont de celles que Ed van der Elsken a reproduites dans son livre Love on the Left Bank (1956). Benny était l'un des membres du groupe Moineau ; ce portrait est probablement aussi du même photographe.Nous remercions M. Loes van Harrevelt, du Nederlands Foto Museum, de nous avoir confirmé que le portrait de Mohamed Dahou est bien de Ed. Van Der Elsken.
Collages sur 2 coupures de journaux, dont les titres ont été modifiés par l’ajout de mots ("Une jeune [chinoise] prétend avoir échappé hier aux entreprises du "satyre des autostrades [Gaëtan M. Langlais]" ou "[La peau d'un caïd] Chahut monstre des étudiants de Londres en l'honneur de Guy [mort]").
Touchez pas aux lettristes. [Avril 1953]. Tract ronéotypé, 1 p. in-4. Signé par Gaëtan Langlais, ainsi que Brau, Fadou, Debord, Leibé, Mension, Wolman. Deux fautes de frappe corrigées à la main.Le lettriste Pierre-Joël Berlé, qui s'était promené de nuit dans les catacombes, avait été arrêté à leur sortie rue Notre-Dame-des-Champs. Il fut condamné à une peine de prison pour vagabondage et vol de plomb, avant d’être acquitté en appel. Parmi les signataires, figure Gaëtan Langlais, fraîchement intégré au groupe.
Couverture de l'Internationale lettriste (n° 1, novembre 1952), dans laquelle les précédents documents sont rangés.
LANGLAIS, Gaëtan. Les Variations de la Vérité… Petite chronologie édifiante. Décembre 1959. Document dactylographié. 1 p. in-4.Gaëtan Langlais a écrit cette "Petite chronologie édifiante" en accumulant des citations de Debord et d'autres lettristes, d'août 1953 à décembre 1959, qui montrent les opinions changeantes des membres du mouvement, comme la reconnaissance de la participation en 1953 jusqu'à son exclusion pour "sottise" en 1954.
Extraits de lettres de Guy Debord retranscrits par Gaëtan Langlais (2 p., sur un feuillet in-8).Condition reportFor further information on the condition of this lot please contact Benoit.Puttemans@sothebys.com ProvenanceGaëtan Langlais, membre du Lettrisme international en 1953-1954 (voir aussi lot 90).LiteratureÉ. Brun, Les situationnistes, une avant-garde globale, CNRS Editions, 2014.
Lot DetailsAuthenticity guaranteedAuthenticity guaranteedXXe siècle (lots 51 à 142)
[Internationale lettriste] ─ Guy DebordCorrespondance à Gaëtan M. Langlais.1953-1954.
21 lettres et billets (38 pages sur 24 feuillets, de divers formats, in-12 à grand in-4). La plupart signés "Guy", "GE" [Guy-Ernest], certaines signées d’un nom de code comme "Ludwig Von Bayern", Commandant en chef" ou "Guatémala".
Facétieuses lettres, certaines codées, avec des collages "métagraphiques", parodiant le langage militaire ou jouant avec une disposition typographique novatrice.
À l’un des membres éphémères du mouvement de l’Internationale lettriste en 1953-1954.
Documents inédits.
C’est en avril 1953 que Gaëtan Langlais (1935-1982) devient membre de l’Internationale lettriste (I.L.), fondée en Belgique en juin 1952 par Serge Berna, Jean-Louis Brau, Guy Debord et Gil J. Wolman. Au sein du groupe, il est désigné par le surnom de "Double Wagon", qui lui vient de sa fonction dans une entreprise d’import-export. Il participe aux activités du groupe, déambule de bar en bar dans Paris avec Ivan Chtcheglov et Guy Debord — ce sont les "dérives" que ce dernier théorisera dans "La théorie de la dérive", 1956 —, en particulier dans le quartier de la Contrescarpe et Chez Moineau, quartier général du groupe. Signataire du tract Touchez pas aux lettristes (avril 1953) diffusé après l'arrestation de Pierre-Joël Berlé pour vol de plomb dans les catacombes, auteur de Jolie Cousette (texte par détournement, 1952-1953), Langlais cosigne deux textes dans l’Internationale lettriste d’août 1953 ("Acte additionnel à la constitution d’une Internationale lettriste" et "Il faut recommencer la guerre en Espagne") et collabore au scénario, inabouti, de La Belle Jeunesse de Guy Debord (1953). Partout où il passe à Paris, il écrit "Les Chinoises pour Gaëtan" sous forme de graffiti sur les murs — revendication qu’il fait figurer dans l’I.S. d’août 1953. Par son métier dans l'import, il a probablement pu subventionné l'I.L. Il s'éloigne du mouvement dès février ou mars 1954, mais il sera considéré comme exclu pour "Sottise" dans Potlatch en juin 1954 ; un projet de tract Comité directeur de l’I.L. précise qu’il a été éliminé pour déviations doctrinales ou médiocrité personnelle : que Langlais soit l’un des seuls salariés du groupe allait peut-être à l’encontre des directives de Debord, dont en 1953 le slogan était "Ne travaillez jamais". Plus tard, Gaëtan Langlais publiera quelques poèmes et dessins dans Front noir (1963-1967), revue opposée aux théories situationnistes de Louis Janover ; son frère cadet, Roger Langlais (1941-2018), essayiste et peintre, est le cofondateur de la revue L’Assommoir (1978-1895). Il restera proche de Ivan Chtcheglov, avec lequel il gardera des contacts réguliers jusqu'en 1971 au moins (voir lot 91).
Cette correspondance permet d'en apprendre davantage sur ce membre éphémère de l'I.L., qui fut un temps très proche de Guy Debord Tentant de dresser un portrait de Gaëtan Langlais, les biographes de Ivan Chtcheglov déplorent : "Gaëtan Langlais est un curieux personnage, sur lequel on possède peu de renseignements. Nous n’avons même pas réussi à nous en procurer une photographie" (J.-M. Apostolidès et B. Donné, p. 81).
Missives militaires. Certains de ces courriers adoptent les codes des missives militaires. Ainsi, le 18 octobre 1953, le général en chef Debord adresse au général Langlais un message "URGENT", "ULTRA-SECRET" et "CHIFFRÉ" au sujet d’une intervention militaire de la plus haute importance — c’est une brillante paraphrase militariste des remous du Groupe Algérien de l’Internationale lettriste autour de Mohamed Dahou. En grand stratège, il rend compte des mouvements des troupes lettristes, sous la forme d’un télégramme : "Il ressort des dernières nouvelles reçues d’Algérie que le front du général Dahou a été enfoncé dans la nuit par d’importantes forces ennemies. STOP. La IVe Armée d’Afrique du Nord retraite d’Orléans-ville vers Oran, ses arrières gardes livrant des combats de retardement sur un axe Mostaganem-Relizane-Tiaret. STOP. J’ai ordonné au général Dahou de défendre à tout prix Mascara, pour des raisons économiques évidentes, tout en couvrant Oran avec une partie de ses troupes. STOP. […] Le pays n’est pas sûr. J’ai fait brûler hier au soir tout un quartier de la ville et pendre une dizaine d’habitants pour l’exemple. STOP". Debord ordonne un avancement des troupes, prescrit au général Wolman de couvrir le flanc droit en descendant sur l’Île de la Cité, exige que le colonel Chtcheglov fasse diversion sur les arrières de l’ennemi en s’avançant à Fort-Moineau [le café bar Chez Moineau dans le sixième arrondissement de Paris], et proclame l’anéantissement de la Division Belge. Un autre message recommande : "Si accablés sous le nombre repliez-vous sur les hauteurs de Ste Geneviève [la Contrescarpe, lieu de rassemblement lettriste], tout en défendant le cours supérieur de la Seine […] Quelle aide vous apportent le colonel Chchegloff et ses cavaliers cosaques ? […] J’ai fait proclamer la grève générale par la C.S.A.L. (confédération des syndicats anarcho-lettristes). Ils avancent donc à marche forcée, comme dans l’Armée Rouge".
Collages et métagraphies influentielles. Plusieurs lettres comportent des "métagraphies" originales de Debord, ces collages qui se voulait une synthèse entre le roman et les arts plastiques — le terme avait été créé par Isou. Le 28 octobre [1953], il écrit : "Voici métagraphie influentielle-troublante pour donner à petite sœur, à l’occasion de la Sainte-Missoum." ─ Ce collage est intitulé "PORTRAIT DE GAËTAN M. LANGLAIS" (voir infra). Ces collages sont évoqués dans d’autres lettres : "Je suis introduit dans la place où je passe mes journées à manger, faire des métagraphies influentielles", écrit-il depuis Cannes. Une autre lettre [novembre 1953 ?], elle-même métagraphique puisqu’y sont contrecollés des morceaux de texte imprimé, évoque les compositions de Gaëtan Langlais : "Vraiment transcendantes métagraphies. Ornent mes murs. Je vois que tu n’as pas perdu ton temps. Admirons surtout ‘Perdus sur l’Amazone’. Etonnant ‘HONGRIE CORPS CÉLESTE’, Bien sûr." La graphie désordonnée de cette lettre laisse à penser qu’elle été écrite dans un certain état d’ébriété, ce que confirme la suite : "En train d’essayer un mélange dont vous me direz quelques nouvelles : Bordeaux et Bière à parts égales. Comme c’est le jour des morts nous sommes à notre aise." Au verso d’une page de l’Internationale situationniste auquel a participé Gaëtan Langlais (n° 3, août 1953), Debord a collé quelques nouvelles tirées de différents journaux, qu’il appelle ses "nouvelles détournées". Langlais reçoit aussi de Debord un "Compte-rendu de la métagraphie influentielle de Gilles Ivain [Ivan Chtcheglov] ‘Construisez vous-même une petite situation sans avenir’", ainsi commentée : "Dans un PAYSAGE DE CRIME un couple dérive. C’est la Nouvelle Calédonie, c’est-à-dire le sud-est d’Aubervilliers — LA ZONE, avant le bar de la République espagnole. La tragédie, vous savez, vous savez, c’est la pitié et la TERREUR… Le pavillon exponentiel — n’ayez pas peur. Dans l’aérosol, une cloche qui donna le signal de la Saint-Barthélemy — mais c’est la sagesse même."Les œuvres métagraphiques de cette période sont rares.
Des beuveries lettristes aux "dérives". D’autres missives, plus ou moins secrètes, plus ou moins codées, sont des invitations à des beuveries Chez Moineau et à des déambulations dans Paris : ce sont les "dérives" que Debord a théorisées, une forme d'exploration de l'espace urbain définie comme "technique du déplacement sans but", et qui se veut une pratique du dépaysement et de la découverte de soi par le "passage hâtif à travers des ambiances variées" (cité par E. Brun).Le 17 septembre 1953 [1 p. in-12, au recto d’une publicité sur papier rose, cachet de la poste], un message de "Guatéméla à Double-Wagon" organise une rencontre entre "Douce-Exclusion et l’Idiot" avec le "Consul au Praesidium", et ordonne de "détourner d’urgence Belles-Bacchantes et son escorte". Si Debord regrette les "Nouvelles confuses du groupe opérationnel de Carracas" [sic pour Caracas, où résidait Henry de Béarn], il adresse ses "Salutations internationales mais lettristes", en signant ce pseudo-pneumatique "TATOUÉ / TERREUR DES ABATTOIRS / GUATÉMALA". Une autre convocation à un "Praesidium demain soir 9 heures ½ Contrescarpe" précise : "Prière apporter le plus possible de papier (blanc de préférence) pour taper la revue. Mécènes bien reçus". L’une de ces beuveries est longuement commentée le 2 janvier 1954 : "Complètement ivre-mort, dérivé une heure ou deux puis dormi jusqu’à 9 h. matin. […] Ivan [Chtcheglov] et toi avez été particulièrement atroces avec les propriétaires de mon hôtel : basses injures et menaces de mort. J’ai à peu près arrangé les choses. […] Nous sommes revenus du quartier chinois […] nous t’avons suivi de bar en bar toujours un moment de retard. – Bu 2 bouteilles avec Charlal [Charles Guglielmetti] et Do Huc Ho dans l’après-midi. Grande compréhension réciproque sur la politique future du Vietnam." Il explique comment un gang a tenté de racketter le tenancier du bar ("Il est évident qu’un massacre risque de se produire à chaque instant : nos amis ont l’air extrêmement inquiet"), mais leur présence a de justesse empêché un règlement de compte. Il convie Double-Wagon à d’autres rendez-vous, avec Ivan Chtcheglov et Charlal, avant d’ordonner : "DÉTRUIRE APRÈS LECTURE". Une autre convocation [novembre 1953 ?], intitulée "Message clair mais utile" est présentée comme un document administratif, par lequel "L’homme en sursis — Debord, né le 28 décembre 1931 à Paris […] reconnu bon pour le service armé par le conseil de Révision des Alpes maritimes dans sa séance du 7 novembre 1950, salue Gaëtan M. Langlais et le prie d'assister instamment aux diverses pression et stratagèmes qui pourraient le faire affecter dans un ministère belliqueux mais parisien, mais meilleurs appointements s’entend et au mois d’avril URGENCE DISCRÉTION EFFICACITÉ, rappelle en outre le Praesidium fixé à 9 heures 30, au bar du Praesidium, place du Praesidium", avec ce post-scriptum, à propos de son numéro de registre matricule : "Il est formellement interdit de communiquer ces renseignements à une puissance étrangère".
Debord motive ses troupes, incitant Langlais à écrire : "Fais-moi parvenir dès qu’elle sera terminée ton étude sur l’influence de l’habillement dans les situations. Avec les citations que tu m’as montrées dans les LETTRES DE GUERRE, on peut faire de Vaché un étonnant précurseur dans ce domaine. En italien, le même mot signifie costume – et coutume" [sans date, après août 1953]. Plus tard, alors qu’il est loin de Paris, chez ses parents, il demande des nouvelles du groupe, et conseille : "Plus sérieusement — Ne vous endormez pas. Faites le maximum pour sortir cette revue tout de suite, c’est-à-dire d’ici décembre. Je compte sur toi pour encourager Ivan".
La fin. Certaines lettres de Debord regrettent l’absence de Double-Wagon. Quand celui-ci, "chargé d’une délicate mission photographique", reste introuvable, Guatémala [Debord] interroge "Grande-Bretagne" : a-t-il été victime : "- des extrémistes Exterministes ; - des petits Surréalistes goldfayniens – des Exclus et des Abstraits réunis ; - ou simplement de sa tendance à s’interroger sur la valeur dernière des choses" ? Une autre lettre évoque les nombreuses "absences de Double Wagon" [décembre 1953 ?], et le convoque "jusqu’à nouvel ordre", dans un café : "Si ça ne va pas, écris-moi où je pourrais vous voir, Ivan et toi […] mais j’ai peine à croire que votre situation soit si critique". Une autre encore : "Ivan se trouve, parait-il, bien seul et se désole du peu d’entrain que tu manifestes pour cette petite avant-garde." Ou même : "Message secret mais cependant utile. Absence de Double-Wagon nous a désolé hier au soir. S’est-il ‘couché de bonne heure’ ?" On le sent, Gaëtan Langlais s’éloigne du groupe ; cette "sottise" lui sera reprochée, et les lettristes internationaux l’excluront.
[On joint :]DEBORD, Guy. Métagraphie référentielle. Collage intitulé "PORTRAIT DE GAËTAN M. LANGLAIS" (198 x 114 mm ; "GE Debord", daté "Octobre 1953" et titré au dos).Sur un plan gravé d’une prison panoptique, le lettriste a collé des morceaux de textes imprimés. "Gaëtan" au centre, "le plus jeune des métaux précieux", "Adopté par l’élite", "En Chine", etc.
DEBORD, Guy. Faire-part de réussite au baccalauréat, sous la forme d’un avis de décès factice, [1951] (62 x 86 mm, bords de deuil) : "Le divin Met et Guy-Ernest Debord ont la douleur de vous faire part de leur brillant succès aux épreuves du Baccalauréat 2e partie. Fleurs fraîches seulement."Annotation autographe de Guy Debord au verso : "première publication de G.E. Debord dans le groupe lettriste (tirage limité)".À dix-neuf ans, il est intéressant de voir que Debord présentait sa réussite au bac comme une défaite ! "Après avoir réussi les épreuves du Baccalauréat, il affiche alors un détachement ironique en envoyant à plusieurs amis un carton sur le modèle du faire-part de décès […] Qui plus est, à l'été 1951, presque aussitôt obtenu cet examen, Debord quitte la Côte d'Azur pour s'installer à Paris, où il s'insère dans le mouvement lettriste et navigue dans les marges de la micro-société littéraire et artistique. Selon Christophe Bourseiller, il s'inscrit alors en faculté de droit, mais uniquement pour rassurer sa famille." (E. Brun). En réalité, Henri Met, dit le Divin Met, et Guy Debord ne forment qu'une seule et même personne (voir "Une histoire de la performance sur la Côte d'Azur de 1951 à nos jours", en ligne : https://performance-art.fr/fr/document/faire-part-reussite-au-baccalaureat-henri-met-dit-divin-met-guy-debord-qui-forme-quune ).Référence : G. Debord, Œuvres, Quarto, repr. p. 41.
VAN DER ELSKEN, Ed (?). 2 portraits photographiques : Mohamed Dahou dans un café (111 x 77 mm) et (probablement ?) Auguste Hommel, dit Benny devant une palissade (81 x 55 mm ; au dos est contrecollée une strophe imprimée d’un poème d’Éluard), devant une palissade. Tirages argentiques d’époque.Ces photographies sont de celles que Ed van der Elsken a reproduites dans son livre Love on the Left Bank (1956). Benny était l'un des membres du groupe Moineau ; ce portrait est probablement aussi du même photographe.Nous remercions M. Loes van Harrevelt, du Nederlands Foto Museum, de nous avoir confirmé que le portrait de Mohamed Dahou est bien de Ed. Van Der Elsken.
Collages sur 2 coupures de journaux, dont les titres ont été modifiés par l’ajout de mots ("Une jeune [chinoise] prétend avoir échappé hier aux entreprises du "satyre des autostrades [Gaëtan M. Langlais]" ou "[La peau d'un caïd] Chahut monstre des étudiants de Londres en l'honneur de Guy [mort]").
Touchez pas aux lettristes. [Avril 1953]. Tract ronéotypé, 1 p. in-4. Signé par Gaëtan Langlais, ainsi que Brau, Fadou, Debord, Leibé, Mension, Wolman. Deux fautes de frappe corrigées à la main.Le lettriste Pierre-Joël Berlé, qui s'était promené de nuit dans les catacombes, avait été arrêté à leur sortie rue Notre-Dame-des-Champs. Il fut condamné à une peine de prison pour vagabondage et vol de plomb, avant d’être acquitté en appel. Parmi les signataires, figure Gaëtan Langlais, fraîchement intégré au groupe.
Couverture de l'Internationale lettriste (n° 1, novembre 1952), dans laquelle les précédents documents sont rangés.
LANGLAIS, Gaëtan. Les Variations de la Vérité… Petite chronologie édifiante. Décembre 1959. Document dactylographié. 1 p. in-4.Gaëtan Langlais a écrit cette "Petite chronologie édifiante" en accumulant des citations de Debord et d'autres lettristes, d'août 1953 à décembre 1959, qui montrent les opinions changeantes des membres du mouvement, comme la reconnaissance de la participation en 1953 jusqu'à son exclusion pour "sottise" en 1954.
Extraits de lettres de Guy Debord retranscrits par Gaëtan Langlais (2 p., sur un feuillet in-8).Condition reportFor further information on the condition of this lot please contact Benoit.Puttemans@sothebys.com ProvenanceGaëtan Langlais, membre du Lettrisme international en 1953-1954 (voir aussi lot 90).LiteratureÉ. Brun, Les situationnistes, une avant-garde globale, CNRS Editions, 2014.
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