Sand, George LETTRE AUTOGRAPHE SIGNÉE À GUSTAVE FLAUBERT. [NOHANT 12]-15 JANVIER [1876]. 12 p. in-8 (205 x 132 mm). Encre noire sur 3 doubles feuillets à son chiffre gaufré. Superbe lettre philosophique et littéraire à son cher Cruchard, sur l’avenir des hommes et les devoirs de l’écrivain, parlant de L’Education sentimentale et de Madame Bovary : "L’Education sentimentale a été un livre incompris". Quelques semaines plus tôt, George Sand avait déjà écrit à son ami à propos de ses convictions littéraires, adepte de la nuance et d’un équilibre entre le fond et la "forme", peut-être trop chère à Flaubert. Celui-ci réclama alors des éclaircissements et des conseils, laissant échapper une certaine lassitude… Sand expose alors longuement les raisons de son optimisme quant à la nature humaine, la foi qu’elle place dans l’aspiration au bien et au beau, et le devoir de chacun de contribuer à l’évolution de l’homme. "Mon chéri Cruchard, je veux tous les jours t’écrire. Le temps manque absolument. Enfin voici une éclaircie. Nous sommes ensevelis sous la neige, c’est un temps que j’adore, cette blancheur est comme une purification générale, et les amusements de l’intérieur sont plus intimes et plus doux. […] Chacun part d’un point de vue dont je respecte le libre choix. En peu de mots, je peux résumer le mien : ne pas se placer derrière la vitre opaque derrière laquelle on ne voit rien que le reflet de son propre nez. Voir aussi loin que possible, le bien, le mal, auprès, autour, là-bas, partout : s’apercevoir de la gravitation incessante de toutes choses tangibles et intangibles vers la nécessité du bien, du bon, du vrai, du beau. Je ne dis pas que l’humanité soit en route pour les sommets. Je le crois malgré tout ; mais je ne discute pas là-dessus, c’est inutile, parce que chacun juge d’après sa vision personnelle et que l’aspect général est momentanément pauvre et laid. [...] quant à moi, je veux graviter jusqu’à mon dernier souffle, non avec la certitude ni l’exigence de trouver ailleurs une bonne place, mais parce que ma seule jouissance est de me maintenir avec les miens dans le chemin qui monte.[...] Nous sommes je crois bien d’accord mais je pratique cette simple religion et tu ne la pratiques pas, puisque tu te laisses abattre, ton cœur n’en est pas pénétré puisque tu maudis la vie et désires la mort comme un catholique qui aspire au dédommagement, ne fut-ce que le repos éternel. Tu n’es pas plus sûr qu’un autre de ce dédommagement-là. La vie est peut-être éternelle, et par conséquent le travail éternel. S’il en est ainsi, faisons bravement notre étape. S’il en est autrement, si le MOI périt tout entier, ayons l’honneur d’avoir fait notre corvée. C’est un devoir ; car nous n’avons de devoirs évidents qu’envers nous-mêmes et nos semblables. Ce que nous détruisons en nous, nous le détruisons en eux. Notre abaissement les rabaisse, nos chutes les entraînent ; nous leur devons de rester debout pour qu’ils ne tombent pas". Elle tâche alors de redonner confiance à Flaubert, qui a selon elle, des partis-pris parfois excessifs, l’encourageant à s’intéresser davantage au fond plutôt qu’à la forme et à ne pas craindre d’exposer ses propres émotions dans ses romans. "Tu préfères une phrase bien faite à toute la métaphysique. Moi aussi j’aime à voir résumer en quelques mots ce qui remplit ailleurs des volumes, mais, ces volumes, il faut les avoir compris à fond (soit pour les admettre, soit pour les rejeter) pour trouver le résumé sublime qui devient l’art littéraire à sa plus haute expression. C’est pourquoi il ne faut rien mépriser des efforts de l’esprit humain pour arriver au vrai. […] Tu es un riche et tu cries comme un pauvre. Faites la charité à un gueux qui a de l’or plein sa paillasse, mais qui ne veut se nourrir que de phrases bien faites et de mots choisis. Mais, bêtat [sic], fouille dans ta paillasse et mange ton or. Nourris-toi des idées et des sentiments amassés dans ta tête et dans ton cœur, les mots et les phrases, la forme
Sand, George LETTRE AUTOGRAPHE SIGNÉE À GUSTAVE FLAUBERT. [NOHANT 12]-15 JANVIER [1876]. 12 p. in-8 (205 x 132 mm). Encre noire sur 3 doubles feuillets à son chiffre gaufré. Superbe lettre philosophique et littéraire à son cher Cruchard, sur l’avenir des hommes et les devoirs de l’écrivain, parlant de L’Education sentimentale et de Madame Bovary : "L’Education sentimentale a été un livre incompris". Quelques semaines plus tôt, George Sand avait déjà écrit à son ami à propos de ses convictions littéraires, adepte de la nuance et d’un équilibre entre le fond et la "forme", peut-être trop chère à Flaubert. Celui-ci réclama alors des éclaircissements et des conseils, laissant échapper une certaine lassitude… Sand expose alors longuement les raisons de son optimisme quant à la nature humaine, la foi qu’elle place dans l’aspiration au bien et au beau, et le devoir de chacun de contribuer à l’évolution de l’homme. "Mon chéri Cruchard, je veux tous les jours t’écrire. Le temps manque absolument. Enfin voici une éclaircie. Nous sommes ensevelis sous la neige, c’est un temps que j’adore, cette blancheur est comme une purification générale, et les amusements de l’intérieur sont plus intimes et plus doux. […] Chacun part d’un point de vue dont je respecte le libre choix. En peu de mots, je peux résumer le mien : ne pas se placer derrière la vitre opaque derrière laquelle on ne voit rien que le reflet de son propre nez. Voir aussi loin que possible, le bien, le mal, auprès, autour, là-bas, partout : s’apercevoir de la gravitation incessante de toutes choses tangibles et intangibles vers la nécessité du bien, du bon, du vrai, du beau. Je ne dis pas que l’humanité soit en route pour les sommets. Je le crois malgré tout ; mais je ne discute pas là-dessus, c’est inutile, parce que chacun juge d’après sa vision personnelle et que l’aspect général est momentanément pauvre et laid. [...] quant à moi, je veux graviter jusqu’à mon dernier souffle, non avec la certitude ni l’exigence de trouver ailleurs une bonne place, mais parce que ma seule jouissance est de me maintenir avec les miens dans le chemin qui monte.[...] Nous sommes je crois bien d’accord mais je pratique cette simple religion et tu ne la pratiques pas, puisque tu te laisses abattre, ton cœur n’en est pas pénétré puisque tu maudis la vie et désires la mort comme un catholique qui aspire au dédommagement, ne fut-ce que le repos éternel. Tu n’es pas plus sûr qu’un autre de ce dédommagement-là. La vie est peut-être éternelle, et par conséquent le travail éternel. S’il en est ainsi, faisons bravement notre étape. S’il en est autrement, si le MOI périt tout entier, ayons l’honneur d’avoir fait notre corvée. C’est un devoir ; car nous n’avons de devoirs évidents qu’envers nous-mêmes et nos semblables. Ce que nous détruisons en nous, nous le détruisons en eux. Notre abaissement les rabaisse, nos chutes les entraînent ; nous leur devons de rester debout pour qu’ils ne tombent pas". Elle tâche alors de redonner confiance à Flaubert, qui a selon elle, des partis-pris parfois excessifs, l’encourageant à s’intéresser davantage au fond plutôt qu’à la forme et à ne pas craindre d’exposer ses propres émotions dans ses romans. "Tu préfères une phrase bien faite à toute la métaphysique. Moi aussi j’aime à voir résumer en quelques mots ce qui remplit ailleurs des volumes, mais, ces volumes, il faut les avoir compris à fond (soit pour les admettre, soit pour les rejeter) pour trouver le résumé sublime qui devient l’art littéraire à sa plus haute expression. C’est pourquoi il ne faut rien mépriser des efforts de l’esprit humain pour arriver au vrai. […] Tu es un riche et tu cries comme un pauvre. Faites la charité à un gueux qui a de l’or plein sa paillasse, mais qui ne veut se nourrir que de phrases bien faites et de mots choisis. Mais, bêtat [sic], fouille dans ta paillasse et mange ton or. Nourris-toi des idées et des sentiments amassés dans ta tête et dans ton cœur, les mots et les phrases, la forme
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