Proust, Jeanne LETTRE AUTOGRAPHE NON SIGNÉE À SON FILS MARCEL. MERCREDI 2 HEURES [21 OCTOBRE 1896]. Proust et le téléphone. Elle lui adresse cette lettre alors que Marcel séjourne à Fontainebleau au Grand Hôtel de France et d'Angleterre où il a rejoint Léon Daudet. Elle vient de recevoir les pages qu’il lui a écrites à la suite de leur conversation téléphonique du 20 [pages qu’il titra "Jean à Beg-Meil. I. Le téléphonage à sa mère" : "Ce matin j’ai reçu ton petit mot pour ton manuscrit. Comme je tenais à te parler au téléphone et que je n’étais sûre de toi que le matin j’ai laissé les pages sous l’enveloppe et viens seulement de les lire. Elles sont bien douces mais bien tristes, mon pauvre loup. Elles me font souffrir en pensant à la tristesse que tu as éprouvée". La tristesse évoquée est celle de Proust découvrant par le biais du téléphone une voix presque inconnue, celle de sa mère. Il prit alors conscience de la profondeur de la tristesse qu’elle éprouva à la suite de la mort de son grand-père, Nathé Weill. Elle le console donc de son chagrin : "me voici réduite à te souhaiter tel plutôt que de te voir te laisser envahir ainsi par une mélancolie trop tendre "Monsieur ne pourriez-vous pas la rendre muette ?" -- pas ta mélancolie – parce qu’elle "s’exprime très bien" -- mais toi, qui as besoin de te faire un cœur "moins facile et moins tendre". Elle mentionne Dick, Abel [Desjardins] et termine sa lettre par un véritable plaidoyer envers le téléphone que Marcel dédaignait : "Quant au téléphone il vaudra toujours bien mieux que ce soit moi qui t’y appelle cela se passe actuellement bien plus vite mais il est impossible de rien fixer souvent il y a trop de monde. Que de pardon tu lui dois pour tes blasphèmes passés. Quels remords d’avoir méprisé, dédaigné, éloigné un tel bienfaiteur ! Entendre la voix du pauvre loup – le pauvre loup entendre la mienne ! Rien que ton hallo ! "Cet hallo est admirable et j’aime mieux avoir fait et hallo qu’un poème épique" [citation de Molière dans Les Précieuses ridicules, sène 9). Tu vois mon loup que les classiques ne perdent pas leur droit en ton absence". Plus tard, Proust évoquera cette scène du téléphone dans une lettre à Antoine Bibesco du 4 décembre 1902 : "Et dans le téléphone tout d’un coup m’est arrivée sa pauvre voix brisée, meurtrie, jamais une autre que celle que j’avais toujours connue, pleine de fêlures et de fissures ; et c’est en recueillant dans le récepteur les morceaux saignants et brisés que j’ai eu pour la première fois la sensation atroce de ce qui s’était à jamais brisé en elle". Ce fameux épisode sera repris dans Le Figaro du 20 mars 1907, puis dans Le Côté de Guermantes (II, 132 à 136) autour d’une conversation téléphonique entre le narrateur et sa grand-mère. Références : Kolb, Correspondance, II, n° 75.
Proust, Jeanne LETTRE AUTOGRAPHE NON SIGNÉE À SON FILS MARCEL. MERCREDI 2 HEURES [21 OCTOBRE 1896]. Proust et le téléphone. Elle lui adresse cette lettre alors que Marcel séjourne à Fontainebleau au Grand Hôtel de France et d'Angleterre où il a rejoint Léon Daudet. Elle vient de recevoir les pages qu’il lui a écrites à la suite de leur conversation téléphonique du 20 [pages qu’il titra "Jean à Beg-Meil. I. Le téléphonage à sa mère" : "Ce matin j’ai reçu ton petit mot pour ton manuscrit. Comme je tenais à te parler au téléphone et que je n’étais sûre de toi que le matin j’ai laissé les pages sous l’enveloppe et viens seulement de les lire. Elles sont bien douces mais bien tristes, mon pauvre loup. Elles me font souffrir en pensant à la tristesse que tu as éprouvée". La tristesse évoquée est celle de Proust découvrant par le biais du téléphone une voix presque inconnue, celle de sa mère. Il prit alors conscience de la profondeur de la tristesse qu’elle éprouva à la suite de la mort de son grand-père, Nathé Weill. Elle le console donc de son chagrin : "me voici réduite à te souhaiter tel plutôt que de te voir te laisser envahir ainsi par une mélancolie trop tendre "Monsieur ne pourriez-vous pas la rendre muette ?" -- pas ta mélancolie – parce qu’elle "s’exprime très bien" -- mais toi, qui as besoin de te faire un cœur "moins facile et moins tendre". Elle mentionne Dick, Abel [Desjardins] et termine sa lettre par un véritable plaidoyer envers le téléphone que Marcel dédaignait : "Quant au téléphone il vaudra toujours bien mieux que ce soit moi qui t’y appelle cela se passe actuellement bien plus vite mais il est impossible de rien fixer souvent il y a trop de monde. Que de pardon tu lui dois pour tes blasphèmes passés. Quels remords d’avoir méprisé, dédaigné, éloigné un tel bienfaiteur ! Entendre la voix du pauvre loup – le pauvre loup entendre la mienne ! Rien que ton hallo ! "Cet hallo est admirable et j’aime mieux avoir fait et hallo qu’un poème épique" [citation de Molière dans Les Précieuses ridicules, sène 9). Tu vois mon loup que les classiques ne perdent pas leur droit en ton absence". Plus tard, Proust évoquera cette scène du téléphone dans une lettre à Antoine Bibesco du 4 décembre 1902 : "Et dans le téléphone tout d’un coup m’est arrivée sa pauvre voix brisée, meurtrie, jamais une autre que celle que j’avais toujours connue, pleine de fêlures et de fissures ; et c’est en recueillant dans le récepteur les morceaux saignants et brisés que j’ai eu pour la première fois la sensation atroce de ce qui s’était à jamais brisé en elle". Ce fameux épisode sera repris dans Le Figaro du 20 mars 1907, puis dans Le Côté de Guermantes (II, 132 à 136) autour d’une conversation téléphonique entre le narrateur et sa grand-mère. Références : Kolb, Correspondance, II, n° 75.
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